Prix des médicaments : le dessous des cartes
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Pourquoi constate-t-on des prix aberrants pour de nombreux médicaments ? 41 000 € pour la cure de Sovaldi®, dont le coût de revient réel est d’environ 200 €, plus de 700 € l’injection de Lucentis® ou d’Eylea® alors qu’existe un substitut 30 fois moins cher, quintuplement du prix du Vercyte® sans motif valable, des prix de génériques deux à trois fois plus élevés en France qu’aux Pays-Bas…
Le CEPS (Comité économique des produits de santé), chargé par le Gouvernement de fixer le prix des médicaments, s’acquitterait-il mal de sa tâche ? Il est pourtant composé de plusieurs dizaines de fonctionnaires, bordé par deux commissions, l’une de la transparence, l’autre de l’efficience économique, toutes deux sous tutelle de la HAS (Haute autorité de santé), tenues au respect de procédures aussi détaillées que précises – avis de SMR (Service médical rendu : propose le taux de remboursement) et ASMR (Amélioration du service médical rendu : propose le niveau de prix), avis d’efficience économique. Et, en fin de parcours, l’aval nécessaire du Ministre de la Santé ?
Hasardons une explication. Le même CEPS, sur instruction formelle de sa tutelle, signe une convention avec le LEEM (le syndicat des industries du médicament). Et que lit-t-on, dès les premières lignes de la dernière convention, datée du 31/12/2015 ? :
Le Comité et les entreprises du médicament conviennent de constituer un comité de pilotage de la politique conventionnelle (ci-après CPPC). Ce comité paritaire a vocation à aborder tout sujet permettant de contribuer à l’élaboration de la politique conventionnelle du, médicament.
A l’intérieur de ce CPPC, les groupes techniques suivants sont constitués
- • Le comité de suivi des génériques (CSG)…
- • Le Groupe de pilotage des médicaments biosimilaires (GPMB)…
- • Le Groupe de suivi des dépenses de médicaments et des économies. (GSDME)…
Une telle avalanche de sous-comités et de missions prêterait à sourire en d’autres circonstances. Mais, traduisons : le CEPS et le LEEM conviennent que la politique économique du médicament en France n’est plus du ressort du seul comité interministériel qu’est le CEPS. Elle est dorénavant cogérée par l’État et les industries intéressées. En clair, non seulement cette industrie est entièrement biberonnée – confortables dividendes compris – par la Sécurité sociale, mais l’État, censé défendre les intérêts de cette dernière, s’en remet désormais pour ce faire au bon vouloir de cette même industrie dont l’existence est pourtant suspendue aux cotisations et impôts des citoyens…
Le tout, à l’abri d’un luxe de procédures et comités dont le foisonnement devenu incontrôlé est supposé, par la magie de sa seule existence, rassurer (endormir ?) le citoyen. On croit d’autant plus rêver que les sous-comités cités ci-dessus brassent toutes les informations imaginables sur le médicament, toutes, sauf une, cruciale : les coûts de fabrication ! Mais là, motus, secret industriel, secret des affaires. Ainsi va la cogestion, telle qu’entendue par l’industrie du médicament.
Illustration, même convention, de l’usage fait de la « concertation » ainsi offerte aux industries intéressées :
• Pour les médicaments innovants, la procédure dérogatoire, dite du dépôt de prix, est mise en œuvre : l’entreprise peut déposer une offre de prix auprès du CEPS qui a 15 jours pour l’accepter. Dans le cas contraire, il incombe au même CEPS de dûment motiver son refus… Cela, comme nous l’avons dit, sans disposer de la moindre information fiable sur les coûts de fabrication...
Et pour mettre l’ubuesque à son comble, la même convention stipule que le prix du médicament innovant doit rester entre les limites de ceux observés dans les quatre autres grands pays européens (Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne) ! Alors, que signifie une telle débauche bureaucratique de procédures et comités, si ce n’est un écran de fumée pour masquer un résultat écrit d’avance ?
Réformer le CEPS ? Une évidence, à la lumière de ce qui vient d’être exposé.
Reproduisons, en guise de conclusion, les propos de la Cour des comptes à son sujet :
L’action du CEPS est souvent limitée par des consignes imprécises ou parfois contradictoires. Ainsi les orientations ministérielles qui lui ont été adressées en avril 2013 lui demandent de poursuivre des objectifs d’efficience et de maîtrise de la dépense de médicaments tout en veillant, par ailleurs, au « dynamisme des industries de santé, qui sont un secteur d’avenir prioritaire et au développement de l’emploi ». Ces objectifs apparaissent difficilement conciliables. Alors que d’autres administrations et dispositifs ont pour mission de soutenir l’emploi et l’innovation, son action devrait porter uniquement sur la maîtrise des dépenses et la prise en charge des améliorations thérapeutiques.
D’accord, bien entendu, sauf sur un point : au vu des résultats de son activité, on peut légitimement se demander si le CEPS n’a pas interprété sa mission davantage en termes de gardien des dividendes de l’industrie du médicament plutôt que de défenseur de l’emploi qu’elle était censée procurer.
Restons lucides : réformer le CEPS ne serait qu’un premier pas dans la bonne direction, celle d’une santé redevenue bien commun. Le véritable chantier est à venir. Il est immense.
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