Cordel-debout sur le trou de la Sécu
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ce débat a eu lieu dans le cadre de la commission santé "hôpital debout" avec le collectif "outils du soin" le 8 mai 2016 place de la République à Paris
Martine, collectif les outils du soin : Le trou de la sécu, une invention ?... une arnaque ! Le trou de la Sécu est une construction apparue vers 1995. La sécu existe depuis 1945, ses comptes devraient être équilibrés, car elle s’occupe de la couverture maladie, de la retraite, des allocations familiales et des accidents de travail et maladies professionnelles. Les recettes de cet organisme viennent des cotisations sur les salaires, auxquelles se sont ajoutés d’autres apports comme la CSG, qui est proportionnelle aux revenus et non progressive comme un impôt. A un moment les dépenses ont été plus importantes que les recettes. Quand cela se produit pour un sujet important pour la nation, en générale l’Etat se débrouille pour que les comptes soient équilibrés : on ne dit pas qu’il y a le trou de l’éducation, ou le trou de la police. Mais il y a un trou de la Sécu. Dans les médias, quand on parle du trou de la sécu, on parle de l’assurance maladie. Il y a aussi un trou des retraites.
Les chiffres : la Sécu a 332 milliards de recettes par an, et 345 milliards de dépenses, donc 13 milliards de déficit, soit moins de 4% des dépenses. Pour l’assurance maladie, il y a 168 milliards de dépenses (en 2012 ?), et le déficit est de 6.5 Milliards donc aussi moins de 4%. Cette situation date du moment où il a été décidé que les comptes devaient être équilibrés et c’est Juppé qui a institué cela avec l’ONDAM. Tous les ans, on vote une loi de financement de la sécurité sociale et on décided’un Objectif National de Dépenses de l’Assurance Maladie : on décide que l’année suivante il ne faudra pas dépenser plus qu’une certaine somme. Puis on voit si on a atteint l’objectif et quel est le déficit. Le déficit s’accumule chaque année et est remboursé par une caisse qu’il faudra un jour renflouer. Nos enfants vont payer le déficit. L’idée sous-jacente est que l’argent n’est pas illimité et qu’il y a sans doute trop de consommation de soins.
Les ressources proviennent surtout des cotisations sur les salaires. Or, depuis 1980, l’Etat n’a eu de cesse que de baisser les cotisations patronales sur les salaires avec des allégements de cotisations qui théoriquement doivent être compensées par l’Etat. Il y a eu 26 milliards d’allégements de cotisations, et il y a un déficit de 3.5 milliards non reversés par l’Etat. Et il existe une fraude des employeurs, ceux qui ne déclarent pas, ou qui déclarent dans d’autres pays…fraude estimée à 20 milliards. On peut les comparer aux 13 milliards de déficit de la Sécu...
Du côté des dépenses, on entend toujours parler de fraude. La fraude aux prestations s’élève à 4 milliards et 70% est liée aux entreprises de soins, les cliniques, les ambulances…Il y a aussi la question du paiement à l’acte, la façon dont sont rémunérés les médecins n’est pas très logique en France et on peut faire du profit en multipliant les actes. Mais la fraude des usagers, ceux qui prennent la carte vitale d’un autre pour se faire soigner…représente moins d’1 milliard, ce qui n’est pas tant que ça. Et du côté des médicaments, vu la façon dont les prix sont fixés, avec des médicaments ultra chers et l’industrie pharmaceutique qui fait du profit : certains ont calculé qu’on pourrait faire 10 milliards d’économie sur les médicaments.
Tout cela relativise beaucoup la question du trou de la Sécu. Néanmoins cette politique est efficace. C’est impressionnant, mais l’Objectifnational de dépenses de l’assurance maladie dont le but est d’avoir de moins en moins de déficit chaque année, cela fonctionne. Il y a moins de dépenses, et dans le rapport des comptes de la Sécurité sociale, on voit que les postes sur lesquels on a joué sont la masse salariale à l’hôpital (on ne remplace pas les départs en retraite, les congés maternité etc) et la pression sur les prescriptions : on dit aux médecins de prescrire moins d’arrêts maladie, moins de transports, moins de kiné…et ça marche.
On est loin de ce pourquoi la Sécu a été créée en 1945 : chacun cotise selon ses moyens, chacun peut se faire soigner selon ses besoins. Pierre Volovitch, notre ami économiste, dit : le trou de la sécu est une question mal posée, la question n’est pas combien ça coûte mais à quoi ça sert ? et comment c’est décidé. Ce qui manque dans ce pays ce sont des moyens de décision démocratique des choix dans l’organisation du système de santé.
B, collectif notre santé en danger : En une dizaine d’années on est passés de l’organisation des soins à l’offre de soins. Avec la question de la rationalisation des moyens alloués à l’organisation des soins. Un des objectifs aujourd’hui c’est aussi le transfert de l’assurance maladie vers les assurances privées. Avec la fausse bonne idée de la complémentaire santé obligatoire qui a mené à l’introduction des assurances priées dans la gestion de la sécurité sociale, il y a un transfert massif qui se fait vers les assurances privées soi-disant parce que le capitalisme serait en capacité de mieux gérer. Or, l’organisme collecteur qui s’appelle l’URSSAF n’a comme frais de gestion interne que 0.4%, alors que les organismes complémentaires classiques tournent autour de 12% de frais de gestion.
Sur la question des laboratoires, il faut revendiquer la nationalisation des laboratoires. Il y a eu des accords pour bloquer le prix de certains médicaments, en contrepartie on a libéralisé le prix des molécules dites innovantes. Cela se monte jusqu’à 1000 ou 1500 euros pour certaines spécialités pour la dose hebdomadaire voire la dose quotidienne de médicament. En cancérologie par exemple mais aussi en psychiatrie.
Il y a aussi la fraude aux accidents de travail. La caisse des accidents de travail est une caisse abondée par les entreprises (qui payent en fonction du nombre d’accidents de travail qui se sont produits dans l’entreprise). Pour diminuer les coûts du côté des employeurs, beaucoup d’accidents de travail ne sont pas déclarés, des pressions sont exercées sur les salariés. Et c’est l’assurance maladie qui prend en charge les frais entrainés par ces accidents.
Nous revendiquons aussi une détermination démocratique des besoins de santé, qui ne soit pas une détermination descendante mais montante : que cela parte des besoins des territoires, qu’il y ait une élaboration entre les professionnels, les caisses, les associations d’usagers et les élus qui déterminent les besoins de santé et les besoins d’investissements de santé pour la population. Tous les ans, dans notre collectif, au moment de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale on essaie de mener des actions mais avec très peu d’échos ; on se retrouve une poignée à manifester. Cela commence le 15 octobre avec les débats à l’assemblée nationale et jusqu’en décembre, il y a une fenêtre d’un mois et demi de mobilisation, mais au printemps on a déjà une idée des projets au niveau européen, avec l’enveloppe allouée aux dépenses de santé : on sait déjà à quelle sauce on va être mangés.
Aujourd’hui on a le taux de couverture le plus bas qu’on n’ait jamais connu dans l’histoire de la protection sociale. Et cela va se traduire par une pression sur le temps de travail des salariés, une intensification du travail avec une réduction des postes, médecins infirmiers,aide-soignants etc
La loi Touraine Hôpital Patients Santé Territoires a été votée, il va y avoir des concentrations hospitalières de plus en plus importantes, aussi avec des économies sur les personnels mais aussi par l’externalisation des services, cuisine, lingerie etc, ce qui amènera à des catastrophes. Nous défendons la communauté hospitalière, chaque établissement hospitalier assurant tous les soins.
Il faut savoir qu’au début la Sécu était gérée par les salariés, ce qui était un réel contrepouvoir face à l’état. Le budget de la Sécu c’est 380 milliards d’euros et cela intéresse les spéculateurs. Quand il y a eu la crise des subprimes aux Etats-unis, toutes les liquidités liées aux systèmes de solidarité ont été récupérées…
Alice, collectif notre santé en danger : l’intérêt général est que chacun et chacune puisse avoir voix au chapitre. Mais là cela se passe dans l’opacité, quelques groupes oligarchiques se coordonnent entre eux et imposent aux gens ce qui se passe avec la dérive et la désinformation… Le trou de la sécu, c’est arbitraire. Si les décideurs décident de mettre à la charge de la Sécu certains médicaments du laboratoire Servier qui ont été très mal testés, cela ira vers le trou.
D’autre part il y a le comité pour l’annulation de la dette du tiers monde qui a fait différents rapports dont un qui s’appelle « que faire de la dette sociale en France ». Publié en janvier 2015 il est sur le web, il explique qu’en 1995 Monsieur Chirac était président de la république avec Juppé comme premier ministre, ils voulaient modifier le financement de la sécu, ils sont passés en force avec les ordonnances 1996, ils ont institué la caisse d’amortissement de la dette sociale qui est sur un marché spéculatif et qui a le même directeur depuis 1999 dont l’épouse n’est autre que la magistrate qui a ramené la peine d’inéligibilité de Monsieur Juppé de 10 ans à 1 an.
On a aussi le précédent directeur de la sécu maladie qui est Frédéric Van Roekenghem qui venait des assurances AXA, il avait été directeur de l’audit après il a été directeur de la caisse des financements des liquidités de la sécu ; pendant 10 ans il a été président de la sécu nationale maladie et il est parti en septembre 2014 aux assurances Rotschild. Donc on se fout de nous et des tas de gens n’y comprennent rien, ils ont la carte bleue et ils ont la carte verte et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il va falloir qu’on réfléchisse comment changer ça, en communiquant avec les citoyens et les citoyennes et que les gens se sentent impliqués.
Sur le financement de la sécu, il y a les cotisations patronales. Mais si on en arrivait à développer les coopératives de façon beaucoup plus horizontale, on n’aurait plus besoin des patrons et on ne parlerait plus de la sécu patronale.
Pierre-Jean, Syndicat de la Médecine Générale : pour les prospectives, par rapport au trou de la sécu qu’on veut bien nous vendre, il y a un objectif derrière qui est la libéralisation des mutuelles. Que s’est-il passé en Grèce ? ils avaient un trou de la sécu et comme la liberté des marchés est très bonne pour la santé, ils ont fermé tous les centres de santé, les médecins se sont retrouvés au chômage du jour au lendemain, le pari était que le système privé allait prendre la suite. Résultat, dans le même temps ils ont ruiné le budget des hôpitaux de 30% et des hôpitaux se sont mis à fermer donc le nombre de patients par hôpital a augmenté, on peut imaginer la qualité des soins… Et le système privé qui devait ramasser le pactole a eu une diminution d’environ 20 à 30% de son activité. Donc tout a été raté, le privé et le public ont diminué leur activité alors que le nombre de patients augmentait. Il y a des listes d’attente, des bakchichs, des dessous de table, des dépassements d’honoraires –comme il y en a aussi en France –. L’exemple grec nous guette.
Martine : en effet il faudrait que les besoins de santé soient évalués localement et que des moyens pour réduire les inégalités sociales de santé soient décidés démocratiquement entre professionnels, usagers, élus locaux et représentants de la Sécu. Mais on en est loin et il va falloir réfléchir à comment ? A un moment, au Syndicat de la Médecine Générale on disait qu’il faudrait réinvestir les centres de Sécu de quartier pour y organiser des réunions où on discuterait des besoins de santé de la population. Mais le problème c’est qu’ils sont tous en train de fermer les uns après les autres et qu’il n’y a pas vraiment de structure locale qui se dessine qui soit un lieu où l’on puisse débattre de tout ça. Pourtant c’est bien au niveau local qu’il faut le faire.
Yoan : quels sont les liens entre l’Agence Régionale de santé et le fonctionnement de la Sécurité sociale ?
B : Il n’y a pas de lien direct.Les Agences Régionales de santé sont responsables de l’organisation des soins sur un territoire donné. Ils ont une enveloppe, décidée à partir de l’ONDAM, qu’elles répartissent vers les hôpitaux publics, la médecine de ville… Sur la question de la sécu versus les complémentaires santé, l’exemple de la Grèce est très intéressant pour nous parce qu’on y arrive, avec l’Accord National Interentreprises et les complémentaires obligatoires : quand vous perdez votre travail vous perdez aussi votre complémentaire. Les fonctionnaires en Grèce qui perdaient leur emploi perdaient aussi leur couverture sociale. Grosso modo aujourd’hui il y a 35% de la population en Grèce qui n’a plus de couverture sociale. Malgré les promesses électorales, une sécurité socialen’a pas été instituée. Résultat, quand nous sommes allés en Grèce, avec une délégation de plusieurs syndicats et associations, pour rencontrer les centres de santé autogérés, on nous a raconté que des gens, quand ils apprennent qu’ils ont une maladie incurable, se suicident car ils n’ont pas les moyens de se soigner, ils risqueraient de ruiner leur famille en créant une dette que l’Etat viendra récupérer sur les biens immobiliers etc. On est déjà dans le même cadre que la Grèce avec le transfert des complémentaires santé, il ne manque plus qu’une dépression au niveau de l’emploi et des lois un peu plus dures dans l’austérité pour basculer dans la même logique.
Valérie : je pense, qu’il s’agisse du bien commun ou de la fraude ou de la sécu à 100% qu’il faut que l’on ait un débat sur le fonctionnement de la Sécu et sur qui la gère. Pour le moment on n’en est pas au local mais au national et tout ce qui se passe aujourd’hui est lié au financement de la Sécu. Aujourd’hui c’est l’Etat qui gère la Sécu, et le pacte de responsabilité a demandé 7 milliards d’économies sur le dos de la Sécu. Pour en revenir à la Grèce, c’est un bras armé pour décider de quelle manière les réductions d’effectifs se font et les regroupements hospitaliers, pour parvenir à cet objectif de7 milliards d’économies d’ici 2017. De toutes façons, on ne peut pas faire l’économie d’un débat sur le financement et la gestion de la Sécu, qui n’est plus gérée par les salariés. Le financement se fait par des cotisations salariales et des cotisations patronales certes, mais il n’empêche que c’est sur notre salaire à nous, sur notre travail. Nous sommes expropriés de la discussion collective et ce n’est pas normal que l’Etat puisse décider comment financer la Sécu. Il y a même une année où Sarkozy a décidé de dédommager les marins pêcheurs sur l’augmentation du prix du pétrole avec l’argent de la Sécu, par exemple. C’est un budget qui devient complètement perméable, chacun peut faire ce qu’il veut, des lois du gouvernement peuvent prévoir des exonérations de charges aux patrons, sans que la Sécu soit concertée. Et ce qui ne rentre pas dans les caisses de la Sécu, on appelle ça le trou de la Sécu.
Pierre-Jean : Les directeurs d’ARS par région sont nommés par le ministère, donc par le gouvernement. Ils proposent le budget santé au niveau de la région et ce budget est voté par une commission à majorité. Quand on fait l’addition des votants, sur 30 il va y en avoir 5 à 6 qui sont des délégués départementaux, il y a le préfet de région et d’autres personnes directement liées au gouvernement qui ne vont pas avoir envie de voter contre ce qu’on leur propose. C’est complètement différent d’une commission où il y aurait des représentants des habitants, des élus et des usagers.
Martine : il existe un système intéressant en Alsace Moselle où la Sécu rembourse à 100% les soins hospitaliers y compris le forfait journalier, à 90% les soins de ville, et pour les médicaments 15%-80%-90% suivant leur utilité reconnue (le médicaments inutiles ce serait mieux qu’ils n’existent pas plutôt que d’être remboursés à 15% mais c’est une autre question). Ce système existe en Alsace Moselle parce qu’ils avaient la Sécu allemande depuis 1890 ( ?) et après 1918 on leur a laissé le même statut. Parfois on voit des gens arriver avec cette Sécu, ils payent 2 euros au lieu de 23 euros. Et cela coûte beaucoup moins cher car c’est géré par la Sécu dont les frais de fonctionnement sont beaucoup moins importants que ceux des complémentaires. C’est financé par une cotisation salariale supplémentaire mais qui est proportionnelle au salaire et pas en fonction de l’âge ou des maladies comme avec les complémentaires. C’est beaucoup moins injuste mais cela représente une cotisation salariale supplémentaire alors qu’il n’y a pas de cotisation patronale pour cette part là. Il y a des syndicats de médecins et aussi des associations qui commencent à demander à ce que ce système de sécu à 100% soit généralisé à toute la France, cela coûterait beaucoup moins cher et cela serait beaucoup plus égalitaire. Mais il faudrait aussi une cotisation patronale et qu’on lutte contre la fraude des cotisations pas payées.
Antoine : Ce sont des choix de société. Dans le débat public on ne propose jamais la possibilité de choisir un système équivalent au système d’Alsace Moselle. On dirait aux gens : voilà, vous avez le choix, vous n’avez plus à prendre de mutuelle, d’assurance complémentaire qui vous coûte tant, mais on va augmenter les cotisations, à peu près de 1% de plus et vous avez une prise en charge quasi 100% Sécu. Simplement proposer ça comme choix démocratique. Après si la population dit moi je préfère payer plus cher ma complémentaire santé ou si la population riche et bien portante préfèrela complémentaire santé (qui est beaucoup plus chère quand on est vieux et pas bien portant) peut-être mais au moins que ce soit mis dans le débat démocratique. Personnellement je sais ce que je choisirais…Mais cette possibilité n’est même pas mise dans le débat démocratique.
En complément, pour résumer, comme on l’a dit la santé est, surtout ces dix dernières années et surtout les dernières , mise à la diète, par des mesures qui passent par des déremboursements, des réformes à l’hôpital…Si on regarde de près l’évolution des dépenses de santé, on voit que dans la mise à la diète de l’ensemble du système de soins, c’est l’hôpital public qui paye le prix le plus fort. Et un des outils pour mettre l’hôpital vraiment à la diète, c’est l’introduction de la tarification à l’activité, dite T2A, c’est-à-dire des barèmes supposément scientifiques et mathématiques et fondés sur des mécanismes de marché dans l’attribution du financement aux hôpitaux. Ce n’est même pas le marché car ces tarifs sont décidés et imposés administrativement. Donc dans certains hôpitaux on surcote, on invente des opérations qui n’ont pas eu lieu, et on abandonne d’autres soins qui ne sont pas assez rentables. Le tarif payé pour une fausse couche est beaucoup plus élevé que pour un avortement, ce qui conduit certains établissements à ne plus faire d’IVG, alors qu’en termes techniques le coût pour l’hôpital est sans doute le même. Ce sont des choix purement administratifs qui conduisent à une transformation de l’activité de l’hôpital public. Si depuis 2 à 3 ans pour la première fois on arrive à tenir l’objectif national de dépense d’assurance maladie, c’est peut-être un résultat remarquable, mais à quel prix ?« grâce » à l’hôpital public. Evidemment les autres dépenses en matière de santé sont aussi sous pression mais beaucoup moins. A travers les déremboursements, et à travers, depuis quelques années, une grosse pression faite sur le médicament, ce qui n’était pas le cas avant. De la part de l’Etat, il s’agit à la fois de protéger un secteur privé lucratif, l’industrie pharmaceutique, et de l’autre côté on se rend compte que cela coûte quand même cher et donc on fait la promotion des génériques, on dérembourse etc…
Annick : La Sécurité sociale telle qu’elle a été créée en 1945 par le Conseil National de la Résistance est financée par les cotisations sur les salaires. Or actuellement ce système est déjà très amputé puisqu’une grosse part du financement est liée à la CSG, qui est un impôt. Beaucoup de gens préconisent un financement par la fiscalité. Je pense qu’il faut absolument maintenir les cotisations sur les salaires, que cela fasse partie du salaire des travailleurs. Que ce soit payé par l’employeur ou par le salarié lui-même, pour le travailleur c’est toujours son salaire. Il touche son salaire dont il a besoin personnellement et sa cotisation est destinée au pot commun pour la solidarité. Si on supprime les cotisations sur les salaires, cela veut dire que les patrons ne paieront plus. Bien sûr les patrons payent des impôts mais il y a la fraude fiscale, les paradis fiscaux…Tandis que les cotisations sur les salaires sont payées au niveau de l’entreprise et il faut absolument les préserver. Ou si on les supprime, il faut que les salaires des travailleurs soient augmentés d’autant car c’est l’argent des travailleurs.
Alice : Les salaires, cela pose un problème de fond. On le voit avec la loi travail, c’est un problème de subordination des salariés aux patrons et il va falloir qu’on change ça. Je pense que le véritable problème du contrôle de la Sécu c’est qu’il faut que ce soit un contrôle démocratique de la même façon d’ailleurs que le contrôle des impôts. La question est d’exercer la démocratie, il va falloir qu’on se donne un moyen d’expression qui soit global et qu’il y ait de plus en plus de citoyens et de citoyennes qui participent au débat.
D’autre part, pour ce qui est du financement des médicaments par la Sécu, pendant des années on a vu la cigale, l’industrie pharmaceutique s’est bien amusée. Chaque année la sécu en France payait 3 milliards d’euros pour les visiteurs médicaux pour faire prescrire aux médecins des médicaments sans aucune relation avec la qualité du travail qui avait permis de les mettre au point. Il y a des médicaments dont le remboursement a été bien baissé, d’autres moins, il faut dire quel’industrie pharmaceutique n’est pas une tradition de la France ; dans les décennies précédentes les médicaments étaient mis au point hors de France et pourtant ils revenaient bien moins cher à la Sécu. Il y avait des variations de 1 à 10 et des médicaments qui avaient été mal testés plus chers que d’autres de la même catégorie qui avaient été bien testés. Là aussi il y a besoin de transparence. Vous avez vu le scandale d’il y a quelques mois en France avec le volontaire qui est mort et d’autres qui ont eu de graves troublessuite à un essai thérapeutique. Des animaux étaient morts avant mais on n’en avait pas tenu compteet les essais ont été faits sur tous les volontaires en même temps. Ce n’est pas parce que l’AFSSAPS a été informée ou l’Agence Régionale de Santé que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. On est toujours dans l’opacité et les conflits d’intérêt. Il y a aussi des médicaments bidon.
C : j’étais dentiste en centre de santé pendant quinze ans. Les soins prothétiques et les soins d’orthodontie donnaient lieu à une entente préalable, qui fixait la participation de l’Etat par le remboursement par la Sécu. Actuellement l’entente préalable a été abandonnée. Même pour des soins conservateurs, il faut une mutuelle. La Sécurité sociale a abandonné le champ de ces remboursements sans même en informer les patients. Sans compter le nombre d’enfants à qui on propose des soins d’orthodontie absolument inutiles. Car il n’y a plus d’entente préalable. Et cela pénalise ceux qui ne peuvent pas payer une complémentaire.
Pierre-Jean : ce que je comprends, c’est qu’il y a une vingtaine d’années pour les soins dentaires il y avait une entente préalable entre les dentistes et la Sécu et le prix des complémentaires était abordable. L’abandon de cette entente préalable a entrainé une libéralisation complète du prix des soins dentaires et les dentistes ont eu un train de vie qui s’est amélioré. Le remboursement ne s’est pas amélioré, par contre.
B : la cotisation salariale est une part du salaire qui a été socialisée. Quand le gouvernement prend la décision, à un moment, d’exonérer de cotisations sociales des salaires, cela veut dire qu’il baisse le salaire. Cette baisse pour la Sécu est compensée par l’Etat, c’est-à-dire que vous payez deux fois le cadeau qui est fait au patronat. Avec vos impôts vous compensez cette exonération de cotisation sociale. Ils emploient exprès le mot charge pour faire croire qu’on n’est pas compétitif à cause de ce qu’ils appellent charges sociales mais c’est un tour de passe-passe et c’est nous citoyens qui payons des impôts pour compenser. Il y a aussi les exemptions non compensées qui sont de plusieurs milliards par an, de cadeaux faits au patronat soi-disant pour créer de l’emploi. Si cela avait créé de l’emploi, il y a longtemps qu’on le saurait.
Il y a une autre question c’est le développement des centres de santé municipaux. Jusqu’à la loi Touraine, il n’y avait pas réellement de reconnaissance des centres de santé municipaux avec lemode de rémunération de médecins salariés dans ces centres. Il y a eu un tout petit pas fait uniquement du côté de la reconnaissance. L’ordre des médecins s’opposait à la création de ces centres de santé avec des médecins salariés qui font en même temps de la consultation mais aussi de l’éducation à la santé et de la prévention : tout leur temps de travail n’est pas consacré qu’à la consultation, il est consacré aussi à s’intéresser à l’état de santé dans le bassin de vie et à intervenir dessus.
Pour finir sur les ARS, c’est un transfert d’une autorité républicaine du ministère vers une agence de droit privé, comme la Haute Autorité de Santé. Et la nouvelle patronne de la HAS qui a été nommée il y a un an ou deux, à propos des médicaments alors qu’il y avait eue descollusions au niveau des expertises de la HAS avec des gens qui travaillaient pour des labos en même temps que pour l’HAS, cette patronne a dit que pour elle ce n’était pas un problème parce que justement c’était une reconnaissance de leur expertise que ces gens-là travaillent aussi pour des laboratoires pharmaceutiques. Moi quand je siège aux commissions des professions paramédicales je remplis une déclaration d’intérêts qui prouve que je ne suis intéressé en rien à quelques pratiques lucratives que ce soit. Ces gens-là qui eux vont décider du sort et de l’usage des médicaments peuvent tranquillement être rémunérés par les laboratoires. Et après il y a des scandales comme le Mediator qui surgissent.
Mais un médicament, dès lors qu’il est utile, doit être remboursé à 100%, sinon ce n’est pas un médicament. Avoir des 30, 40, 20%, des vignettes bleues, roses ou blanches…pour nous ou c’est un médicament ou ce n’en est pas un.
On n’a pas abordé la loi Bachelot, qui a instituéles dépassements d’honoraires. C’est une véritable honte. C’était illégal avant et Bachelot a légalisé une pratique illégale. Elle les a autorisés« avec tact et mesure ». Et aussi l’exercice privé à l’hôpital, avec la mise à disposition de moyens du service public à de la pratique libérale.
Il faudra se poser aussi la question de l’existence d’un secteur privé lucratif financé par la sécurité sociale et la liberté d’installation dans l’exercice libéral. Cela fait aussi partie des questions qu’il va falloir aborder très sérieusement.
Y : Merci pour les points techniques que vous avez abordés et les éclaircissements. En tant que personne qui ne comprend pas toujours comment cela se passe au niveau du financement de la Sécurité sociale, j’entends sur ce sujet et beaucoup d’autres la question de comment on peut se réapproprier en tant que citoyens la santé, et tout ce qui fait partie de notre bien commun. Est-ce que vous avez des idées, des manières de faire ? Au-delà du débat très technique sur les modes de financiarisation, je suis sceptique sur le fait que l’intérêt soit au bien commun aujourd’hui dans un monde moderne. Je voudrais savoir comment on pourrait faire pour avoir des débats sur la réappropriation de la santé par les citoyens.
Chandra : à propos de l’ARS, juste un point technique sur le fait que c’est un organisme de droit privé : j’ai entendu dire il y a quelques années que le salaire d’un directeur de l’ARS était d’à peu près 18000 euros par mois. Cela donne une idée de ce qu’on attend d’eux comme économies, comme politique de réduction des coûts.
J’ai l’impression qu’on tourne un peu en rond autour de la question du trou de la Sécurité sociale, je pense que c’est inextricable tant qu’on est dans un système capitaliste. En 1975 une réforme des comptes nationaux a été faite où les dépenses de santé sont comptabilisées comme les autres dépenses, les importations de pétrole…Cela coûte toujours trop cher. La question est de considérer qu’un certain nombre d’activités sont des conditions pour rester humains : le soin, l’éducation, probablement la justice aussi, ne devraient plus être envisagés dans un système marchand.
Tù-Tâm : je voudrais apporter ma petite pierre à la réflexion sur comment faire pour que la santé soit un bien commun, comment elle peut être démocratisée dans son fonctionnement et dans les objectifs de la société dont on fait tous partie. J’interviens en tant que non professionnelle de santé. Ce que j’apprécie énormément dans le collectif outils du soin et d’autres, c’est cette volonté de dialogue entre les patients et les soignants, entre els soignants et les soignés. Je pense que c’est peut-être là que s’élabore au quotidien une réflexion commune sur la manière dont la santé peut être défendue, soignée. Comme le dit avec l’ironie l’adage : la santé est trop importante pour être laissée aux seuls professionnels de santé, c’est vraiment l’affaire de tous les citoyens. Et je pense que les consultations, tous les efforts que vous pouvez faire en tant que soignants pour nous aider à comprendre votre philosophie, comment vous entendez prendre en charge notre santé avec nous, c’est vraiment essentiel. Pour moi c’est là que c’élabore vraiment de manière démocratique et horizontale une réflexion commune entre professionnels et non professionnels. Dans cette élaboration, d’autres professions peuvent concourir. Je vais parler pour ma paroisse, les bibliothécaires, les documentalistes en santé par exemple, qui sommes là pour aider à la recherche d’informations utiles pour les professionnels comme pour le grand public, on participe aussi à cet effort d’information, de prévention, d’éducation...C’est comme cela que ça devrait continuer.
Martine : ce que je remarque, c’est que les syndicats hors syndicats de médecins, se préoccupent peu des questions de santé. Il faudrait vraiment que les syndicats de travailleurs reprennent cette question à leur compte. Par exemple, beaucoup d’accidents de travail et de maladies professionnelles ne sont pas déclarées. Je ne vois pas pourquoi ce terrain est autant déserté. Les médecins subissent un bourrage de crâne dès leurs études pour ne pas prescrire d’arrêts maladie ou en prescrire le moins possible. Dans le paiement à la performance, qui est une sorte de prime pour les médecins, il y aurait même une condition selon laquelle cette prime serait conditionnée au fait de respecter les recommandations pour les durées d’arrêt de travail en fonction des maladies, un jour pour une angine, deux jours pour une bronchite, trois jours pour un lumbago etc… C’est scandaleux et il faut que les travailleurs s’emparent de ce problème parce que nous médecins conscients de ce problème -nous sommes à peu près 5% à avoir refusé la prime à la performance, les autres tombent dans le panneau et après ne savent pas comment s’en débrouiller- n’y arriverons pas seuls.
Et puisqu’ on est dans un endroit où on parle de réécrire la constitution, est-ce qu’on ne pourrait pas faire une espèce de cahier des charges en santé, où on proposerait des choses et on commencerait à élaborer sur ces sujets-là ? Parce que c’est vrai qu’il y a du boulot.
Martin : pour rebondir sur ce que disait Chandra, il me semble que les soignants font déjà partie du groupe marchand, justement. L’idée de la Sécurité sociale était de les sortir du monde marchand, en finançant leur activité, leurs conditions de travail… par une cotisation payée par tous les salariés et contrôlée par eux. C’est d’ailleurs pour ça que les tenants du capitalisme, et nos dirigeants tiennent à appeler ça des charges et des dépenses de santé alors que c’est des salaires et de la production de santé, c’est ce qu’on a écrit dans le cordel. Il me semble qu’il y a un vrai enjeu à ce que les soignants se considèrent comme ça, comme des personnes en avance, qui sont déjà un peu extraites du capitalisme, qui sont une preuve en acte de la possibilité de faire fonctionner la société autrement. D’ailleurs on entend souvent que les soignants à l’hôpital ne peuvent pas faire grève parce que quand ils font grève ils sont assignés et du coup on ne peut pas bloquer un hôpital, mais on parle rarement d’une autre forme de mobilisation traditionnelle qui est de faire fonctionner l’usine pour soi, pour l’ouvrier. En fait les soignants pourraient très bien envisager ce genre d’action, de faire tourner les services en envoyant balader les directions hospitalières, les médecins pourraient très bien décider d’arrêter de coder pour bloquer ça, les assistantes sociales pourraient décider d’arrêter de signaler les patients "bedblocker" (les patients avec des situations médico-sociales difficiles qui prolongent les séjours à l’hôpital, pour pouvoir les repérer dès qu’il reviennent, voire demander aux urgences de ne pas les hospitaliser, et aux services de refuser leur transfert ...) ceque la direction leur demande de faire…ll y a beaucoup de façons de se réapproprier le soin, on pourrait aussi inviter des usagers, ou des comités d’usagers, dans les AG de soignants. Ces expériences locales sont d’autant plus possibles que les soignants pour un certain nombre sont des titulaires de la fonction publique et sontdonc moins menacés que d’autres emplois, même s’il y a de la précarité aussi…
Alice : La dérive managériale existe aussi dans le domaine de la santé. Les critères de la convention médicale de Xavier Bertrand ne sont pas pertinents pour ce dont les patients et le public ont besoin. Quand on fait du travail à la chaine il faut respecter les conditions de sécurité, voir si cela va avoir de conséquences ou pas. Ce n’est absolument pas pris en compte dans la convention. Cela fait des années que ceux qui dirigent ce système s’en fichent complètement. J’ai vu il y a 20 ans ou 25 ans une sous-chef de la nomenclature de la sécu, j’ai vu un chef de cabinet d’un ministre de la santé…visiblement ils s’en foutaient éperdument. Il faut définir ces choses-là aussi avec la population. Les soignants et la population avons besoin de nous apprendre des choses. On a beaucoup de travail à faire ensemble.
Valérie : dans les mobilisations soignantes cela se fait régulièrement, ne pas vouloir coder les actes ou bloquer le bureau des entrées. Il faut savoir que cela fait encore plus peur que la grève, et c’est énormément pénalisé, il y a des constats d’huissiers : on a le droit de faire grève mais pas de bloquer le fichage ou alors il va y avoir un non gréviste le lendemain qui va vite récupérer tous les actes qui ont été faits. Parce qu’on soigne les gens, mais il faut montrer qu’on l’a fait. Par rapport au signalement, il y a eu une soixantaine d’assistantes sociales à Lyon ou à Clermont-Ferrand il y a quelques années qui ont été amenées à comparaitre devant la justice pour avoir refusé de signaler, je ne sais plus dans quel domaine, je crois que c’est le fichage des enfants…Cela fait très peur donc cela veut dire qu’il faut le faire d’une manière extraordinairement collective ce qui est de plus en plus compliqué. C’est ce qu’on fait en premier, de ne plus noter les actes, ne plus noter les entrées etc mais c’est déjà pénalisé. Une occupation de direction d’hôpital, on l’a vu à Caen, c’est pénalisé, avec des 1000 euros d’amende pour les syndicats et les salariés qui occupent les directions. On ale droit d’aller en manif et même de faire grève mais dès qu’on commence à toucher à nos dirigeants et à la manière dont il faut qu’on soit dirigés, là tout d’un coup c’est la répression, il n’y a pas encore les gazs mais on va bientôt y être.
B : Pour préciser ce que dit Valérie, à Caen il y a eu un jugement : s’il y a un rassemblement de salariés à proximité d’une instance, c’est 500 euros d’amende par personne. Pour interdire toute sorte de rassemblement.
Oui, on ne pourra rien faire sans les usagers. Le droit de grève dans les hôpitaux n’existe pas réellement, on a ce qu’on appelle l’effectif minimum et bien souvent les jours de grève l’effectif est supérieur aux journées classiques. Parce que,le jour de grève, c’est la responsabilité du directeur qui est engagée, donc ce jour-là paradoxalement on est plus nombreux dans les services. Par rapport au blocage du bureau des entrées, si un mouvement citoyen bloquait les claviers pour qu’on ne puisse plus faire les entrées et la facturation, ce serait beaucoup plus efficace que si nous les syndicats hospitaliers on essaye de le faire et qu’on est sanctionnés directement.
Dans notre interpro, il y a une commission sociale qui essaye d’informer les autres syndicats de des problématiques de protection sociale et de santé. Il y a un bouquin très intéressant, de Colette Bec, qui s’appelle « la sécurité sociale », qui montre comment on en est arrivés à créer la Sécurité sociale après un siècle et demi de réflexion autour de la prise en charge de la solidarité, ce qu’il s’est passé à la période 44-46, comment la Sécurité sociale n’a jamais été mise intégralement en place, comment ses péchés originaux n’ont pas été corrigés ce qui fait que depuis 70ans la Sécu a été attaquée morceau par morceau pour être bien malade aujourd’hui. Quand même, en 70 ans, le capitalisme et le patronat n’ont pas réussi complètement à la mettre à bas, mais il est temps de s’y mettre tous pour essayer de retrouver le projet d’origine de la Sécurité sociale.
Hélène : pour aller dans ce sens, est-ce qu’on pourrait imaginer un « patients debout » et commencer par faire circuler une feuille pour se mettre à disposition des projets de grève et aller occuper avec vous les hôpitaux pour arrêter de coder, car ils ne pourront pas pénaliser les citoyens qui empêchent de coder…
B : cela a été fait à StDenis, il y a un appel qui a circulé en assemblée générale. Une cinquantaine de personnes sont venus de Nuit debout. Des associations le font, il y a la coordination nationale de défense des hôpitaux et maternités de proximité, une centaine d’associations en France qui se battent contre les fermetures de services, d’hôpitaux ou de maternités. Il y a aussi le collectif notre santé en danger dont on fait partie avec le SMG qui réfléchit sur quel système de santé on veut et qui essaye de mettre en place les luttes chaque fois qu’il y a un ONDAM ou une loi de santé. Il y a une soixantaine d’associations et de syndicats, et on peut y venir en tant que personne. Il y a un troisième étage, au niveau européen, parce qu’il ne faut pas croire que notre système de protection sociale est unique au monde, toute la zone Maghreb et beaucoup de pays d’Europe avaient des systèmes équivalents qui sont détruits de la même façon. On a monté un réseau européen contre la commercialisation et la privatisation de la santé et de la Sécurité sociale qui existe maintenant depuis 3 ans. On a fait la première manifestation coordonnée européenne le 7 avril dans toutes les capitales d’Europe, il y a eu une première ébauche de mouvement parce que vu l’adversaire qu’on a en face ce n’est pas une bagarre qu’on gagnera dans un seul pays, on la gagnera de façon internationale et au forum social de Tunis c’était une des questions majeures qui a donné lieu à des débats.
Pierre-Jean : un aparté par rapport aux inégalités de soins : elles sont aussi à l’intérieur des différentes caisses de Sécurité sociale. On parle de la sécu mais il y a les Sécurités sociales : la CPAM, la MSA (mutualité sociale agricole), et le RSI pour les commerçants et artisans. Avec le RSI, on dirait qu’on incite les gens à voter Front national ; je ne parle pas des grands patrons, mais pour les petits entrepreneurs, comme le maçon du coin, au cabinet j’entends quotidiennement qu’ils se font plumer. Il y en a qui voudraient embaucher, mais quand on voit les sommes qu’ils doivent, un maçon qui travaille tout seul et qui doit des dizaines de milliers d’euros au RSI, et il ne roule pas en BMW…et une femme qui est au RSI a 40 jours de congé maternité quand pour quelqu’un qui est salariée et a la Sécurité sociale c’est 7 semaines + 8 semaines en tous cas plus de 40 jours. Il y a des Sécurités sociales qui sont à l’origine d’inégalités. Il y aussi beaucoup de régimes spéciaux différents et les patients s’y perdent.
B : par rapport à l’intervention sur la HAS, aujourd’hui on en arrive à un système où on nous impose des pratiques. Depuis quelques années toutes les formations par exemple à visée psychanalytique dans mon secteur (psychiatrique)ne sont plus financées. Et on a appris dernièrement que les services de soins qui seraient à orientationpsychanalytique se verraient couper les budgets. Après il y a les bonnes pratiques, les pratiques opposables, plein de systèmes qui en arrivent à une dictature des agences, y compris sur les pratiques de soins. On n’a même plus cette liberté là et ce sont des experts autoproclamés qui nous expliquent à nous personnel de terrain comment on doit faire.
Chandra : à propos de cette question de restreindre les budgets des services qui se réfèrent à la psychanalyse, est-ce que cela existe dans un autre secteur de la médecine, où les financements de certaines pratiques seraient refusées ? question aux collègues médecins.
En dentisterie, aujourd’hui de plus en plus de mutuelles imposent un certain nombre de pratiques
Pierre-Jean voulait parler des réseaux d’accès aux soins qui perdent leurs financements
Des hôpitaux de jour de maladies infectieuses perdent des moyens, parce qu’on dit que le sida ne nécessite plus autant de soins
Antoine : Il y a une réforme qui est entrée en vigueur le premier janvier 2016 qui s’appelle la Protection Universelle Maladie, ou PUMa, et je suis sûr que beaucoup n’en ont pas entendu parler. Or cela va bouleverser pas mal de choses en matière de Sécurité sociale ou rien du tout pour la plupart d’entre vous. Cette réforme modifie, crée ou supprime plus de 200 articles du code de la sécurité sociale. C’est du droit, mais cela fait bouger beaucoup de choses. On n’a pas encore vu toutes les implications de cette réforme. Et tout cela est modifié par un seul article de la Loi de financement de la sécurité sociale qui fait 13 pages et que les députés et les sénateurs ont votée en faisant confiance car ils en admettaient la philosophie mais ne comprenaient rien aux nombreux détails. Et je vous mets au défi de comprendre cet article, que vous pouvez aller lire. A priori cette réforme est très positive, entre autres cela supprime la Couverture Maladie Universelle, pas en mal. En principe c’est assez bien parce qu’il est prévu qu’une fois que l’on entre en assurance maladie on ne peut plus en sortir. La seule façon d’en sortir théoriquement à part le décès évidemment c’est quand on quitte le territoire. Comme avant, si vous déménagez à l’étranger, vous ne pouvez plus bénéficier de la protection sociale française. C’est assez positif puisque cela va régler le problème de tous les gens qui soit subissaient des mutations à l’intérieur de leur régime soit entre régimes : typiquement les gens qui passaient du régime général au RSI ou à la MSA ou les 2 millions de personnes qui passaient chaque année soit du régime général au régime étudiant soit l’inverse. Il y avait des coupures de droits, les gens attendaient leur carte vitale 3, 6, 9mois ou 12 mois quand c’était le RSI etc. Aussi pour les personnes comme par exemple une épouse d’agriculteur qui divorce de son monsieur agriculteur, elle était ayant-droit majeure, avait l’assurance maladie grâce à monsieur, après la séparation elle devait alors passer au régime général, avec des risques de ruptures de droits etc.
La PUMa est quelque chose de positif en soi parce qu’il y a une présomption de droits, tant qu’on ne vous a pas contrôlé et que vous n’avez pas déménagé hors de France, vous avez droit à l’assurance maladie. Ce n’est pas idiot. Sauf que cela n’a pas été pensé en lien avec les exigences pour les étrangers. Vous savez que depuis la loi Pasqua de 1993 on a conditionné l’assurance maladie à la condition de régularité de séjour. Auparavant il n’y avait pas de condition derégularité de séjour. Cela fait que les étrangers en situation irrégulière n’ont pas droit à l’assurance maladie. Le problème de la PUMa c’est qu’on va durcir les conditions d’entrée à l’assurance maladie et surtout on va faire en sorte que les personnes vont avoir leurs droits fermés à chaque échéance de leur titre de séjour, donc chaque fois qu’ils vont faire des renouvellements de titre de séjour (je simplifie un peu).
Actuellement dans un cadre associatif, avec une plateforme interassociative qui s’appelle l’Observatoire du Droit à la Santé des Etrangers qui regroupe des associations de défense des droits des étrangers, la Cimade, le GISTI, le MRAP…et des associations de médecins, Médecins du monde, le Comegas…et des associations d’usagers, Aides, ActUpetc, également des centres de soins, le Comede, Créteil solidarité etc…ce groupe a sorti un communiqué et essaye de négocier avec le ministère pour limiter les dégâts au niveau des textes d’application, des décrets et des circulaires. Il faut se mobiliser parce qu’il y a un énorme danger : ce qui était en vigueur depuis la réforme CMU qui était une sorte d’équilibre pas du tout satisfaisant mais qui au moins permettait à un maximum d’étrangers de bénéficier de la Sécurité sociale à l’exception des étrangers en situation irrégulière qui sont renvoyés vers l’aide médicale d’état…
Cette réforme va changer la frontière entre assurance maladie et aide médicale d’état en renvoyant beaucoup de gens vers l’aide médicale d’état ou vers rien du tout. Parce que vous savez que pour avoir l’aide médicale d’état non seulement les démarches sont très compliquées mais il y a des conditions par exemple de ressources, et il y a beaucoup de sans papiers qui n’ont pas l’aide médicale d’état, qui n’y ont pas droit. Donc on va renvoyer davantage d’étrangers vers l’aide médicale d’état car leur carte de séjour ayant expiré ils n’auront plus droit à l’assurance maladie alors qu’avant ils avaient droit à un an incompressible de couverture par l’assurance maladie après l’expiration de leurs papiers, ce qui permettait de faire le lien avec leur renouvellement ou la demande de l’AME .Si vous suivez toutes les affirmations des leaders de droite, Juppé, Sarkozy et consorts sur l’aide médicale d’état, on sait très bien que son avenir est compromis. A l’échéance 2017 elle peut disparaitre. Du coup, la réforme PUMa prend une dimension inquiétante pour l’avenir si les restrictions pour les étrangers qui se dessinent sur l’assurance maladie se confirment.
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